À quoi peut-on s’attendre lorsque nous sommes en deuil ?
Il existe plusieurs repères qui peuvent nous permettre de nous retrouver dans les dédales du deuil et de donner un peu de sens à cette palette de réactions parfois très intenses et déstabilisantes. Toutefois, il est important de préciser que ce ne sont que des repères et non des vérités absolues ou des composantes essentielles d’un deuil. Rappelons que chaque deuil est unique et qu’il n’est nullement nécessaire d’éprouver toute la palette des réactions possibles.
Attendez-vous à… des étapes ? Oui et non
Plusieurs endeuillés rapportent vivre ce qui s’apparente à des étapes dans leur processus de deuil. Il existe de nombreuses façons de décrire et de diviser ces étapes. Nous vous présentons ici des repères généraux qui ont été éprouvés par la recherche scientifique sur le deuil. Certains décrivent un état d’engourdissement émotionnel, dans lequel ils se sentent bloqués de leurs émotions ; comme si ces dernières étaient gelées ou encore comme s’ils portaient une armure bien étanche afin de survivre au choc de la perte. Nous devenons un peu comme un robot et pouvons même être plus froids ou détachés. Nous avançons dans la vie sur le pilote automatique, en prenant plus ou moins conscience de ce qui se passe autour de nous. Certains endeuillés vivront une forme d’éclatement de cette armure. La pression étant trop forte à l’intérieur de soi, nous craquons. Craquer peut faire terriblement mal et être vécu de façon violente. Un flot d’émotions en tout genre peut nous envahir et se déverser à travers des vagues de chagrin. Tristesse, culpabilité, rage, peur, anxiété, impuissance, pleurs intenses : tout est possible. Ces vagues de chagrin grugent de l’énergie et ont le potentiel d’épuiser certains d’entre nous. La dépressivité, l’apathie, ne plus avoir le goût de ne rien faire ou la perte de sens de façon plus globale peuvent alors colorer notre deuil. Par contre, généralement, les vagues, même si elles ne disparaissent pas complètement, tendent à se calmer, à être moins fortes et moins récurrentes. Nous réorganisons notre vie plus facilement, nous reprenons goût à celle-ci et nous apprivoisons avec plus d’espoir un monde d’où l’être cher est absent.
Ces étapes ou ces états ne doivent surtout pas être compris comme des prescriptions. Premièrement, elles se présentent rarement de façon linéaire. Un endeuillé pourrait « craquer » dès le début de son deuil, puis vivre un engourdissement émotionnel par la suite et craquer à nouveau (ou pas). Un autre endeuillé pourrait ne jamais vivre d’engourdissement émotionnel. Ces étapes n’ont pas de séquence ni de fin prédéfinie : nous pouvons les revisiter plusieurs fois ou même ne jamais passer par là. Cela nous rappelle que chaque deuil est bien particulier. En somme, si vous passez par certaines de ces étapes, sachez que vous n’êtes pas le seul à les avoir vécues. Si vous ne passez pas par ces étapes, sachez aussi que d’autres ont vécu une expérience similaire à la vôtre. Et si vous passez par des étapes différentes, sachez que cela est également possible, et qu’encore une fois, vous ne seriez pas la première personne à vivre un deuil qui sort de l’habituel.
Attendez-vous à… osciller
Les étapes du deuil « collent » parfois difficilement à notre expérience. On peut se reconnaître à travers ces étapes, mais la plupart du temps de manière imparfaite. L’idée d’oscillation décrit généralement mieux le vécu des endeuillés. Durant un deuil, nous pouvons nous attendre à passer plus ou moins rapidement d’un état à l’autre, d’une émotion ou d’une pensée à l’autre qui sont parfois même contradictoires. Nous effectuons souvent des allers-retours entre deux pôles. Notre attention oscille entre la douleur de la perte et la reconstruction de notre vie. Lorsque nous sommes centrés sur la perte, nous pensons beaucoup à la personne décédée, nous revisitons notre passé avec elle, nous nous autorisons à vivre notre souffrance et à pleurer toutes les larmes de notre corps ou encore nous tentons de maintenir notre relation avec le défunt sous une forme différente (ex. en lui demandant conseil, en écoutant la musique qu’il aimait). À l’inverse, lorsque nous nous centrons sur la reconstruction, nous tentons de nous adapter aux changements que la mort produit dans notre vie. Nous allons peut-être décider de prendre part à une nouvelle activité, nous allons refaire le sous-sol ou apprendre à nous occuper des enfants seuls, si l’on a perdu un conjoint. S’orienter sur la reconstruction, c’est aussi se créer une nouvelle identité ; se demander qui je suis à la lumière de ma perte et surtout qui je veux être. Toutefois, c’est également se permettre de laisser les grandes questions existentielles de côté et se distraire. Éviter de penser au deuil et à la mort constamment est une façon très adaptée de progresser à son rythme. Et vous savez quoi ? Les endeuillés qui « s’en sortiraient » le mieux ne seraient pas ceux qui se centrent sur la perte ou ceux qui se centrent sur la reconstruction, mais plutôt ceux qui se permettent d’osciller entre ces deux pôles. Le deuil serait fait d’une multitude de grandes et de petites oscillations, qui se font rapidement ou lentement. Est-ce qu’il y a un degré d’oscillation idéal ? Bonne question. L’oscillation idéale est probablement celle qui vous convient personnellement ; celle qui vous fait du bien dans l’instant présent.
Attendez-vous à… un paysage
Votre deuil est votre deuil. Il est singulier. Il n’y a que vous qui soyez en mesure de bien en ressentir toutes les couleurs. Toutefois, s’il est vrai que le deuil est vécu d’abord et avant tout comme une expérience individuelle, une traversée du désert ou un exil dont vous êtes le protagoniste, attendez-vous à ce que votre parcours d’endeuillé soit influencé par des rencontres significatives et mêmes par les rencontres les plus éphémères. Ce que vos proches vous diront ou ne vous diront pas, ce qu’ils feront ou ne feront pas, leur qualité de présence ou leur absence auront on impact sur votre manière de « surfer » sur les vagues. Les intervenants que vous croiserez ou que vous consulterez peuvent aussi mettre leur grain de sel dans votre vécu singulier. Les collègues de travail qui sont plus ou moins confortables avec ce que vous vivez, la caissière à l’épicerie qui vous sourit alors que vous aviez une mauvaise journée et que vous pensiez au décès de l’être cher, l’animateur de radio qui fait jouer la chanson préférée du défunt, votre patron qui se montre compatissant en vous permettant de vous absenter pendant deux semaines ou plus… vous pouvez avoir l’impression de vivre votre deuil en vase clôt, mais ce n’est jamais vraiment le cas en fait. Toutes ces rencontres, de la plus marquante à la plus banale, ont le potentiel de vous faire tanguer dans une direction ou une autre, et ce de façon momentanée ou plus durable. En ce sens, nos deuils sont des paysages dont les reliefs changent constamment au gré de ce que nous croisons au quotidien. Permettez-vous d’interagir consciemment avec les composantes de ce paysage et laissez le paysage vous transformer positivement. Autorisez-vous aussi à transformer votre paysage en allant vers ce ou ceux qui vous font du bien. Au Québec, le paysage de la mort et du deuil est souvent inconfortable pour bien des gens. Ils peuvent ne pas savoir comment se comporter autour de vous ou être très présents peu de temps après le décès, puis s’effacer dans les mois subséquents. Ne vous enfoncez pas dans un paysage où vous avez l’impression d’exister en parallèle aux autres, sans être avec eux. Il y a toujours dans le paysage des bouées de sauvetage ou des petites lueurs que vous pouvez suivre et interpeler.
Attendez-vous à… l’inattendu
S’attendre à passer par des étapes sans savoir lesquelles ; s’attendre à osciller sans savoir à quel degré ni à quelle fréquence ; s’attendre à un paysage de rencontres significatives et éphémères sans savoir quand et comment ces rencontres auront lieu… tout cela en fait revient un peu à admettre qu’on ne sait pas de quoi exactement un deuil serait fait. Seules certitudes, il sera fait d’éléments peut-être plus prévisibles et anticipés, mais surtout de surprises et d’inattendu. De bonnes surprises et des plus difficiles. Certains auteurs et chercheurs disent que le deuil est d’abord et avant tout un processus de création de sens. Cela signifie que l’endeuillé se voit imparti la tâche de déterminer ce qu’il souhaite faire de sa perte et de sa souffrance. Comment veut-il écrire le nouveau chapitre, le tout premier chapitre sans l’autre ? En fait, nous devrions préciser sans la présence physique de l’autre, car l’autre peut être maintenu dans notre vie (être une source d’inspiration) de multiples manières, toutes plus créatives les unes que les autres. Les personnes que nous croisons au quotidien, nos lectures et les activités auxquelles nous prenons part peuvent nous aider évidemment à écrire ce nouveau chapitre. Ils peuvent nous aider à vivre les surprises du deuil, à les interpréter et à faire de ces surprises quelque chose de vivifiant, de beau et de complexe… à l’image de la personne perdue.